Imaginez une entreprise dans laquelle les employés prennent des initiatives individuelles plutôt que d’obéir à des décisions managériales : c’est ce qu’on appelle l’entreprise libérée. Tous les collaborateurs sont alors libres de prendre la parole, et n’ont pas à répondre à un système pyramidal classique.
Ce nouveau mode de management est assez controversé. Une entreprise peut-elle être efficace si tout le monde agit comme il l’entend ? Comment redonner du pouvoir aux salariés en évitant les dérives ? La première idée reçue concernant l’entreprise libérée est qu’elle est associée à une suppression de l’autorité. C’est faux. L’autorité est simplement transférée, et partagée entre les collaborateurs.
Dans cet article, vous allez enfin comprendre ce qu’est une entreprise libérée, son fonctionnement, les avantages et les inconvénients d’un tel système, les 2 facteurs clés à ne pas négliger lors de votre transition, et enfin, 3 exemples d’entreprises qui ont sauté le pas avec succès.
L’entreprise libérée, qu’est-ce que c’est ?
Définition d’une entreprise libérée
Le terme d’entreprise libérée a été popularisé par le livre “Liberté & Cie : Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises”, d’Isaac Getz et Brian M. Carney. Les deux auteurs y développent l’idée d’une organisation basée sur la confiance, où les employés s’automanagent.
Cela signifie qu’ils n’obéissent pas à des directives et qu’il n’y a pas de contrôle de leur travail. Les collaborateurs sont ici autonomes : ils peuvent organiser leur temps de travail et leurs missions, fixer leurs objectifs, etc.
Une démocratie du travail
L’entreprise libérée est souvent qualifiée comme une démocratie du travail, où des règles sont fixées collectivement pour assurer une bonne coopération entre tous.
Il ne faut donc pas directement assumer qu’un tel système mène à l’anarchie. La structure organisationnelle reste encadrée par des accords communs pour garantir la liberté de chacun. Les règles du jeu sont acceptées par chacun en amont, et le taux de désengagement reste souvent très bas.
Un objectif d’holacratie
Qu’est-ce que l’holacratie ? C’est une organisation managériale d’entreprise qui vise à répartir les responsabilités communes entre tous, mais aussi la prise de décision entre plusieurs équipes auto-organisées.
Cette organisation s’oppose aux systèmes classiques, notamment les modèles pyramidaux top-down et le leadership hiérarchique. L’entreprise libérée suit un principe de hiérarchie non plus verticale, mais horizontale.
Une intelligence collective
Ici, l’entreprise libérée est donc séparée en zones, correspondant chacun à une fonction (production, communication, etc.). Il ne s’agit plus de services au sens de départements, que l’on croise habituellement dans les organisations.
Chaque zone désigne un porte-parole qui communiquera avec les autres zones : elles restent indépendantes, mais travaillent main dans la main. Finies les fiches de poste. Les rôles sont définis collectivement, utilisant l’intelligence collective comme pilier.
Les avantages d’une entreprise libérée
Une hausse de performance des salariés
En rendant leur pouvoir décisionnel et leur autonomie à ses salariés, une entreprise libérée augmente leur bien-être au travail. Les collaborateurs sont plus heureux et plus motivés, car ils redonnent du sens à leurs actions professionnelles. Ils s’impliquent alors davantage dans les missions de l’entreprise.
Un collectif soudé
Qui ne s’est jamais plaint d’une ambiance pesante au travail ou de désaccord avec ses collaborateurs ? Le travail collaboratif permet aux employés de gérer les relations professionnelles et les conflits eux-mêmes, qui se régulent donc naturellement.
Dans une entreprise libérée, le collectif a tout intérêt à ce que les employés s’entendent, et c’est donc une problématique commune de garder une atmosphère positive et productive dans les espaces de travail.
Une structure agile
De nos jours, les méthodes agiles sont sur toutes les lèvres. Il s’agit d’une organisation des tâches par groupes de réalisation de projet, afin de garder une certaine flexibilité dans l’organisation globale de l’entreprise. Et puisque la structure n’est pas figée par une hiérarchie pesante, elle peut constamment se réinventer et faire preuve d’agilité pour s’adapter au marché.
Une entreprise innovante
L’expression de la créativité de chacun et leur liberté de parole permet un large échange de réflexions et d’idées.
Dans une entreprise libérée, l’innovation n’est pas uniquement corrélée au budget alloué au service Recherche & Développement : c’est au contraire la prise d’initiative de chacun qui crée une synergie au sein des équipes de l’entreprise.
Les inconvénients d’une entreprise libérée
Un système peu adapté à la culture française
Le système français est très bureaucratique, avec une tendance à une hiérarchie verticale marquée. La conséquence directe de cette tradition est la réticence au changement : les salariés français ne sont souvent pas prêts pour une telle transition.
Le modèle managérial de l’entreprise libérée n’est donc naturellement pas adapté à notre culture et peut se révéler difficile à mettre en place.
Un risque de débordements
Il peut arriver que certains collaborateurs tentent de prendre le pouvoir au sein d’une entreprise libérée. Cette dérive déséquilibre alors tout le système en lui-même, puisqu’il est basé sur des rapports de force égaux.
C’est donc un effet pervers, totalement contraire à l’objectif collectif, où certains employés agissent au détriment des autres.
Une augmentation du stress
Qui dit plus de libertés dit aussi plus de responsabilités. Chacun est libre de ses actions, et doit également rendre des comptes au groupe. Dans l’entreprise libérée, les succès et les fautes sont partagés.
Ne pas assurer son travail, c’est pénaliser le collectif. Chez certains collaborateurs, on peut donc parfois noter une augmentation du stress individuel et un risque plus important de burn-out.
Une utilisation détournée
Le modèle peut être adopté par les dirigeants pour de mauvaises raisons : simplement réduire les charges salariales en supprimant les cadres intermédiaires.
Ces derniers héritent de plus d’une image assez négative de leurs postes. Parfois perçus ou dépeint par les adeptes de l’entreprise libérée comme de petits chefs, ils ont initialement pour rôle d’accompagner et de coacher plutôt que d’ordonner.
Les points clés à prendre en compte lors de votre transition vers une entreprise libérée
Familiariser avec le changement
Dans le cas d’une transition vers une entreprise libérée, le changement radical est peu recommandé. En effet, les employés ont besoin de temps pour s’adapter à cette nouvelle organisation, encore peu démocratisée en France. Il faut donc un changement incrémental.
Ainsi, en ouvrant au fur et à mesure les espaces de travail, en réduisant le contrôle et en augmentant l’autonomie des salariés petit à petit, le changement sera plus facilement accepté. Il ne faut pas sous-estimer la force déstabilisante d’un changement de culture en entreprise.
Rassurer quant à la perte de statut
Les employés possédant un pouvoir statutaire (cadres, employés de longue date) au sein de l’organisation vont craindre de perdre ce pouvoir avec l’entreprise libérée. Ils peuvent donc être un vrai frein dans ce désir de transition.
Cette notion de libération va donc résonner différemment dans leur esprit par rapport aux employés en bas de la hiérarchie. Il faut les rassurer, et les accompagner dans ce travail de personnel de confiance. Et même pour les leaders, ce style de management peut être libérateur, car ils peuvent alors se concentrer sur leur véritable valeur ajoutée.
Trois exemples français d’entreprises libérées
Poult, le biscuitier toulousain
Petit à petit, cette biscuiterie a pris la décision d’adopter des pratiques d’entreprise libérée dans son management quotidien.
Par exemple, lors du recrutement interne d’un nouveau directeur pour leur plus grand site de production, ils ont regroupé un collectif représentatif des candidats pour prendre la décision. Après s’être réunis plusieurs fois, ils sont arrivés à un consensus et ont décidé ensemble le nouveau titulaire du poste.
Airbus et le département de l’A380
À Saint-Nazaire, le département Airbus en charge de l’A380 a adopté les principes d’une entreprise libérée. Ce dernier comprend 7 usines, toutes devenues responsables et autonomes dans leur exploitation.
Le management et les opérateurs prennent enfin les décisions en accord, et le quotidien n’est plus ralenti par la production fastidieuse de tous les rapports initialement obligatoires. Les résultats ? Hausse de la créativité, baisse de l’absentéisme et montée en compétences des employés.
Chrono Flex, spécialiste du dépannage
Cette entreprise de plus de 2 000 salariés a fait le grand saut vers l’entreprise libérée en 2012. Il s’agissait auparavant d’une entreprise tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Ils ont préparé leurs salariés au changement durant 2 ans, pour une transition souple et efficace.
Quelque temps après, ils ont même décidé de mettre en place un nouveau système de rémunération, complètement basé sur la performance collective.
L’entreprise libérée en résumé
L’entreprise libérée demande donc beaucoup de cohérence et de coopération entre les différents acteurs. C’est un mode de management encore nouveau et souvent incompris, basé sur l’holacratie et l’intelligence collective.
Ses avantages sont nombreux : hausse de la performance, collectif soudé et structure agile, ainsi qu’une capacité d’innovation importante.
L’entreprise libérée a toutefois également quelques inconvénients : peu adaptée aux organisations traditionnelles françaises, risques de dérives, augmentation du stress et une utilisation détournée de ses principes.
L’entreprise libérée n’est donc pas nécessairement un management qui convient à toutes les organisations. Cependant, personne n’est obligé d’appliquer ses préceptes à 100 %. Il est possible d’en tirer différents points et de les adapter à son entreprise, en fonction de ses besoins.
C’est ce qu’ont fait de petites entreprises comme de grands groupes. Le tout, c’est de tester pour noter ce qui fonctionne.
Et vous, l’entreprise libérée, êtes-vous pour ou contre ?